samedi 20 mars 2010

Mon mariage polonais

Elle se prénommait Janina et portait un nom emphatiquement polonais, que je préfère ne pas dévoiler ici, vu la teneur hautement scabreuse du petit récit qui va suivre. Janina est devenue Madame Goux en 1985 et l'est restée jusqu'en 1993, si j'ai bonne mémoire. Flash back.

Janina et moi nous sommes rencontrés sur ce qui s'appelait alors Le Réseau. De petits malins s'étaient avisés, en ces années-là, que les personnes qui appelaient au même moment l'horloge parlante avaient la possibilité de converser entre elles, dans les blancs laissés par les annonces horaires. C'est ainsi que cette bonne vieille horloge était devenue un salon plutôt convivial et assez intensément sexuel – un “lieu de drague”, pour tout dire. Le code était simple : dès qu'un blanc survenait, les quelques hommes en ligne se présentaient et annonçaient ce qu'ils recherchaient : femme, homme, raton laveur, etc.. Les femmes restaient en embuscade silencieuse, ne se manifestant que lorsqu'une voix (ou un prénom, ou autre chose) attirait leur attention. Alors, l'émoustillée demandait à l'inconnu son numéro de téléphone (jamais l'inverse !) et ils n'avaient plus qu'à poursuivre leur conversation par les voies ordinaires. C'est ainsi qu'un soir (une nuit ?), je me suis retrouvé à parler avec Janina. La conversation a été fort longue, se teintant d'un érotisme de plus en plus dense sur la fin – à tel point que je me demande si nous n'avons pas baisé par téléphone, ce premier soir : je crois bien que oui. Contrairement à ce qu'on pourrait penser elles ne sont pas rares, les femmes qui aiment s'envoyer en l'air au téléphone. Et c'est un peu comme le sexe en vrai : plus fatigant pour l'homme car il doit parler presque tout le temps, se creuser la cervelle pour enchaîner les salaceries en crescendo, afin que Madame puisse grimper en mayonnaise de son côté.

Par la suite, étalées sur plusieurs semaines, Janina et moi avons eu plusieurs conversations de ce type, mais nous éloignant toujours plus de l'érotisme initial (l'amour c'est simple comme un coup de fil, mais ça va un moment) pour le remplacer par des confidences babillardes à caractère plus ou moins amical.

Et voilà qu'un soir, elle m'avoue n'aller pas bien. Je m'enquiers, évidemment. Elle m'apprend que sa mère, demeurée en Pologne, est au plus mal et qu'elle craint de ne pas pouvoir la revoir avant sa mort. Car, étant venue en France avec un passeport touristique et étant demeurée à Paris (où elle avait un travail tout ce qu'il y a de plus stable), Janina ne pouvait pas remettre les pieds en Pologne. Sauf – car le rideau de fer commençait à se gondoler sérieusement – si elle épousait un Français, auquel cas les autorités jaruselskiennes ne s'opposeraient pas à son retour dans le monde libre. Et Janina de me demander si, par hasard, dans mes relations, je ne verrais pas quelqu'un susceptible de lui rendre le service de l'épouser.

Je m'entends alors répondre : « Ben, si... Moi ! »

Elle réagit très vite, ma Polonaise sans visage : « Nooon, tu ne peux pas dire ça ! Réfléchis, c'est une question grave ! » Et moi, prenant la mouche : « Mais c'est tout réfléchi ! Je t'épouse, grosse connasse ! »

(Il va de soi, on l'aura compris, que je ne lui ai pas dit “grosse connasse” : c'est juste pour faire genre, 25 ans plus tard...)

Là-dessus, elle se met, la Janina, à parler pognon. Parce que, évidemment, il lui semblait normal de me rétribuer pour cet éventuel mariage. Moi, de mon côté, je sentais bien que j'étais en train de faire une connerie. Mais cette connerie m'amusait et, tant qu'à faire, il fallait aller au bout, non ? Donc, je me fâche (belle envolée de ma part, l'honnêteté faite homme : vous auriez dû me voir...), lui affirme qu'il est hors de question qu'elle me verse le moindre centime pour cette piètre péripétie : notre mariage. Deux jours ou trois plus tard, je raconte cette histoire à Bernalin, que cela amuse beaucoup, mais qui s'inquiète tout de même pour moi. Il a tort de s'inquiéter : dans six mois, il sera mort, ce con, et face à son cancer de merde je peux tout de même me permettre de me marier avec n'importe qui. Enfin, bon, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais...

Là-dessus, ma grosse Janina m'assène qu'elle va m'offrir une télé – que je dois considérer cela comme un cadeau et non comme un paiement. Bon, elle semble y tenir, je dis d'accord. Et, tout soudain, se passe le seul épisode torride de notre vie de couple.

À cette époque, je n'avais, comme aujourd'hui, jamais un franc d'avance, mais je m'en foutais. J'invite donc ma fiancée au Globe d'Or, restaurant situé entre Palais Royal et les Halles, tendance Sud-Ouest, tendance cantine-de-Didier-Goux, et qui n'existe plus depuis des années. Durant ce dîner, fort agréable (Janina est une femme point sotte et d'une belle douceur), ma futur épouse me lâche qu'elle n'est jamais allée dans un cinéma porno (ça existait à l'époque) et que l'idée l'excite plus ou moins. Soit : on y va.

Nous nous retrouvons, à Barbès, face à un écran large, observant des bites pénétrant des chattes – enfin, la routine. Janina a cet air émerveillé de l'enfance de qui découvre un univers nouveau. L'affaire l'excite – ou peut-être simplement l'idée qu'elle va devenir prochainement Madame Goux – ; lorsque je prends sa main pour la poser sur ma braguette, elle ne rechigne pas, et me branle gentiment sans décoller ses yeux de l'écran, tandis que, au bout de la rangée où nous sommes assis, un homme se branle lui-même en nous regardant d'un air encourageant.

On ressort assez rapidement de cette salle obscure (parce qu'on se lasse de tout, très vite, et que je dois admettre que je n'ai pas, ce jour-là, jailli impétueusement sur le dossier du siège avant, comme ça se produit dans les films). J'aimerais vous dire que j'ai joui comme une bête, aspergé ma toute neuve fiancée du coude jusqu'au bout des doigts – mais en fait non : même jeune, je ne jouissais pas si facilement, j'avais mon quant-à-soi.

Bref, on se casse et ma grosse Janina me ramène chez elle (j'ai totalement oublié où elle habitait). Là, avant le mariage, pas longtemps avant le mariage, plongé à fond dans le péché de chair, je l'ai fourrée princesse, et elle a eu l'air d'aimer (ou elle a fait semblant, ce qui est toujours possible avec les gonzesses, mais je ne vois pas bien pourquoi, en l'occurrence).

Et ce fut notre seule fusion charnelle : deux jours plus tard nous nous mariâmes et onc ne commerçâmes de ce point de vue.

Lorsque j'ai répondu “oui” au maire du XIXe arrondissement de Paris, ce jour de 1985, j'avais une très sévère gueule de bois – ce qui ne devrait surprendre personne. Je suppose que j'avais dû saisir le prétexte de cet enterrement de vie de garçon pour rentrer chez moi vers quatre heures du matin, et me relever à neuf dans le but d'être à l'heure à mon mariage. Mon témoin était un oncle de la mariée, qui parlait français avec un accent polak à trancher à la hache. – Rien à dire de particulier quant à cette brève cérémonie. Au sortir de la mairie, je me suis dépêché de quitter tout le monde, car on était en semaine et j'étais attendu à mon boulot.

Deux ou trois jours plus tard, mon ami Jef m'a embarqué dans sa voiture et, de Neuilly où nous travaillions alors tous les deux, m'a conduit au centre commercial de La Défense, où nous avons chargé le téléviseur à moi offert par la nouvelle épousée. Le soir même, pour qu'il n'excite pas les convoitises des noctambules, Jef a monté le poste en question dans son appartement, où il a passé l'intégralité de son existence de poste, vu que je ne suis jamais venu le chercher : n'e passant aucune soirée chez moi, je n'avais nul besoin d'une télévision.

Et, là-dessus, j'ai paumé mon épouse.

Je me souviens qu'elle m'a appelé un après-midi, à peu près un an plus tard, alors que mon environnement professionnel immédiat venait de sévèrement me concasser les burettes, ce qui fait que je lui ai répondu assez sèchement ; trop sans doute. Du coup, pensant qu'elle m'importunait, elle a cessé de m'appeler – et moi aussi. Lorsque je me suis dit que, tout de même, je pourrais prendre de ses nouvelles, elle avait déménagé et je n'ai pas réussi à la joindre. Quant à elle, sans doute considérant que lui parler m'était désagréable, elle s'est gardée de me rappeler. C'est comme ça que nous nous sommes perdus. Le plus fort est que, entre notre mariage et l'évaporation de Janina, sa vieille Polonaise de mère s'était mise à aller beaucoup mieux, rendant ainsi notre union sans objet, et donc d'autant plus farcesque. Et les années passèrent...

J'avais tellement bien oublié l'aventure que, lorsque l'Irremplaçable et moi avons acheté notre première maison, à Beaulieu-sur-Loire, en 1992, j'ai répondu “non” au notaire qui voulait savoir si j'étais marié. Je suis donc passé pour un parfait branquignol lorsque je l'ai rappelé, quelques heures plus tard, pour lui dire en gros : « Ah, Maître, au fait, je me suis trompé : je suis marié, mais j'avais complètement oublié... »

Autre épisode burlesque, lié à l'intrigue principale, lorsque ma mère, préparant sa retraite, en 1993, à eu besoin de tout un monceau de papiers officiels, et que sur l'un d'eux elle a découvert que son fils aîné préféré était marié depuis huit ans – car je n'en avais évidemment rien dit à mes parents.

1993, c'est aussi l'année où Catherine a commencé d'être démangée par le prurit des justes noces. J'ai donc entamé une procédure de divorce, chose que je pensais impossible en l'absence de ma femme mais qui s'est avérée tout à fait faisable – et donc fut faite. Ce divorce était encore tiède quand j'ai épousé Catherine en octobre 1994.

L'épilogue se déroulera en 1997, alors que nous vivions désormais, et pour peu de temps, dans la riante petite cité médiévale de Villeneuve-la-Garenne – Hauts-de-Seine. Un soir, coup de téléphone, voix de femme, accent slave. « Didier ? Bonsoir, c'est ta femme !... » Et moi, du tac au tac : « Non, mon ex-femme : nous sommes divorcés depuis quatre ans ! » Janina a eu le bon goût d'en rire. Et même de me dire que ça l'arrangeait puisqu'elle vivait désormais avec quelqu'un. J'aurais pu lui reprocher cet adultère flagrant, mais je me suis abstenu. On a conversé quelques minutes, mais je ne sais plus de quoi, et on a raccroché.

C'est la dernière fois que nous nous sommes parlé. Mais allez donc savoir, avec ces Polonaises.

12 commentaires:

  1. Étonnant! mais les mariages, blancs ou pas, finissent presque forcément par surprendre, à un moment quelconque.
    J'ai connu moi aussi une polonaise, mais je ne l'ai pas épousée. Grâce à elle, j'ai donné des cours de conversation française (tordant pour qui me connaitrait) à des gens de télévision à Varsovie, et un peu fréquenté des journalistes de la "nomenclatura" communiste proche de sa famille… Bref, cela m'avait valu en parallèle quelques menues aventures de jeune homme dont le souvenir m'amuse encore un peu…

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  2. Purée elles sont pénibles les gonzesses à se vexer!

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  3. rien àfoutre de ton mariage de merde

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  4. Marion : fichtre ! je suis très surpris de vous croiser ici, où il ne vient jamais personne ! Du coup, je viens de relire mon texte. Et je puis vous garantir que tout en est rigoureusement exact, je n'ai rien romancé ni même "arrangé"…

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  5. moi aussi j'ai adoré ! :-)

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  6. Merci d'être passé ! Vous avez pensé à éteindre en repartant ou je dois y aller ?

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  7. Un mariage blanc pour faciliter l'obtention de papiers français par une immigrée en situation illégale ! C'est du propre ! Vous avez ainsi contribué gravement à la disparition du steak-frites en faveur de l'invasion du bigos-vodka et l'histoire s'en souviendra comme votre principal fait d'armes.
    Vous n'avez pas honte ?

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  8. Je ne savais pas que les polonais aussi pratiquaient la dot!!!! Ici tu aurais pu négocier en sus une moto...

    Je trouve cette histoire étonnamment romanesque, même si je dois comprendre qu'elle est vraie ???

    Toute votre vie est comme ça ?

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  9. Non, non, la suite est plus calme ! Cela dit, après, j'ai tout de même épousé ma cousine germaine…

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